Au Pays de la prostitution sacrée

Magazine Sex-Appeal, n°24 Juillet 1935

Magazine Sex-Appeal, n°24 Juillet 1935

AU PAYS DE LA PROSTITUTION SACRÉE

Les joueuses de cartes. 1943, 24 X 41 cm. Collection particulière

Les joueuses de cartes. 1943, 24 X 41 cm. Collection particulière

Renée Dunan Au pays de la prostitution sacrée- Sex-Appeal

Les inspirations de Clovis Trouille Photo Paris-Sex-Appeal – tTexte Renée DUNAN

Par Renée DUNAN.

Quand on parle de prostitution, on a tout de suite devant l’esprit les misérables petites filles qui arpentent les avenues populaires du grand Paris, ou les « cagoles » marseillaises, ou les malheureuses Anglaises, aux yeux élargis d’alcool, qui vous sollicitent, dans ce dédale de passages obscurs entourant les plus grandes avenues londoniennes.

Mais il ne vous vient pas à l’esprit que la prostitution puisse être estimée, honorée, admirée comme une haute vertu.

Et, pourtant, j’ai vu cela à Srinagar.

Qu’on m’entende, il est bien clair que les mœurs antiques, d’il y a deux mille ans, même à travers les mots, nous sont mal

compréhensibles. Lorsque les héros du Satyricon entrent par hasard chez une prêtresse de Priape, il est évident qu’ils en sont fort désobligés et n’en tirent aucun plaisir. Ce sont les

commentaires des modernes qui ont vu là de la luxure, alors qu’il n’y a qu’un ennui de plus pour les gens, certes sans pudeur aucune, mais qui sont dépourvus de tout et ne pensent pas du tout et ne pensent pas du tout à l’amour. Car les prêtresses d’Éros ont existé, et nulle moquerie, nulle lubricité même ne les accueillait. La civilisation d’alors admettait que certains actes plaisent aux divinités. Mais lesquels ? On pensait déjà à la prière, sans doute. Toutefois, le raisonnement de ces hommes-là, dépouillé des commentaires vergogneux des modernes qui en dissimulent l’essence, peut-être résumé ainsi : les actes que les dieux aiment sont,  évidemment, ceux, d’une part, qui nous font plaisir, d’autres part qui sont bénéfiques.

Les inspirations de Clovis Trouille Photos Paris-Sex-Appeal - Texte Renée Dunan "Au pays de la prostitution sacrée" - Sex-Appeal

Les inspirations de Clovis Trouille Photos Paris-Sex-Appeal – Texte Renée Dunan Au pays de la prostitution sacrée- Sex-Appeal

De là, sans erreur, naissait cette conclusion que l’acte le plus agréable aux dieux ne peut être que l’acte d’amour, d’où résultent jouissance et postérité.

Mais chacun a ses labeurs, ses travaux, ses occupations. Tout le monde ne peut pas penser jour et nuit à l’amour.

Et voici une seconde conclusion encore excellente :

Il y aura des personnes spécialisées, dévouées à l’Amour, auxquelles l’État déléguera donc le soin d’accomplir au mieux, avec le plus d’art, et dans les conditions les plus vertueuses, cet acte amoureux qui est si propre à concilier l’affection des divinités.

Voilà l’origine de la « Prostitution sacrée ». Mais le mot prostitution ne peut même pas servir ici, car, malgré nous, il intègre une sorte de mauvais sens, une valeur péjorative qu’on doit, sur cette base, absolument exclure.

Il faut reprendre la vieille formule : Les femmes qui s’adonnent religieusement, et en fonction d’un vœu divin, à l’amour, en sont seulement « prêtresses ».

Cependant, même une fois ces explications données, il sera très difficile de faire admettre à un contemporain, qui n’est pas préparé à l’idée de la relativité des morales et qui reste « conformiste », du moins dans cette question, qu’on puisse être une femme qui s’offre et se donne à n’importe qui, et, de ce fait, acquérir pourtant une estime universelle, un grand renom de

Les inspirations de Clovis Trouille Photos Paris-Sex-Appeal - Renée Dunan Au pays de la prostitution sacrée- Sex-Appeal

Les inspirations de Clovis Trouille Photos Paris-Sex-Appeal – Texte Renée Dunan Au pays de la prostitution sacrée- Sex-Appealvertu, voire une sorte de sainteté.

C’est pourtant ainsi.

Oh ! Calcutta ! Calcutta ! 1946 technique mixte : collage photographique et huile 46 x 27 cm

Oh ! Calcutta ! Calcutta !. Clovis Trouille. 1946, technique mixte : collage photographique et huile 46 x 27 cm

Il me fallait dire ces choses pour tenter de faire admettre, sinon le fait qui s’impose seul, de ces prêtresses de l’amour pour qui chaque contact érotique est un mérite divin, du moins mon attitude, car je l’avoue que ces femmes m’ont inspiré le plus grand respect…

Extrait de la revue SEX-APPEAL N°24 Juillet 1935

 

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